LA FLINGUE – Tournée en Amérique du sud
21 février - 8 mars 2014
(paru dans Dig it! Fanzine#61 et OX fanzine 114)

Satanismo y pescado crudo

Voilà plus de deux heures que le bus grimpe la cordillère des Andes. Le paysage visible par les grandes vitres du bus est minéral. Vraiment magnifique. On vient de quitter Mendoza en Argentine, où on a fait un concert atroce hier soir, et on se dirige vers Santiago, où, je le sais, on va faire un bon show.

Mendoza était pas mal, une petite ville touristique avec des jardins à l'espagnole, des places aux mosaïques arabo-andalouses, des restaurants aux viandes fondantes.
Hier soir on a donc joué dans une galerie commerciale en sous-sol, dans un grand bar plein de moquette, il me semble. Pas possible de voir grand chose la salle n'était éclairée que par un laser stromboscopique. Deux cent personnes, quatre groupes et un sous-sol de cent-cinquante mètre carrés, avec juste une petite loupiote pour animer des boums d'enfants. Et pas de sono bien sûr. J'ai surpris Rudy au bord des larmes quand il a vu l'ampli basse combo 20 watts posé devant la grosse caisse. Pourquoi devant la grosse caisse ? Parce que le câble est trop court pour le poser plus loin. OK.

Bon, des plans comme ça c'était pas tout le temps. On a aussi joué dans une usine chimique abandonnée dans la campagne aux alentours de Montevideo. Je me suis pris les pieds dans les câbles dénudés, le micro s'est disloqué dans mes mains, j'ai chopé l'électricité dans les dents et j'ai glissé sur le sol en terre battue.

Tout a commencé quand le petit gros de Crapoulet Records m'a proposé de nous mettre en relation avec des groupes de hardcore sud-américains. Six mois plus tard et quelques mails à des gars étonnamment enthousiastes, on se retrouve billet en poche pour aller faire quinze concerts en seize jour.

Na cidade dos malditos - Os Estudantes
On atterri à Rio de Janeiro.
On se fracasse la tête contre le mur de moiteur compacte en sortant de l'aéroport. On traverse quelques favelas et on arrive en taxi à minuit dans une petite ruelle tranquille juste sous la colline où est perché le Cristo Redentor. Manfrini, guitariste des très bons hardcoreux de Os Estudantes nous accueille. Première soirée impeccable. Bières glacées, sandwiches au bœuf grillé, bars très populos, avec jeunesse en short qui s'arsouille gentiment.
Matinée lumineuse ensuite. Je ne m’attendais pas à grand chose, mais Rio est vraiment splendide. On va faire court la carte postale touristique : lagon intérieur, collines en pain de sucre, Ipanema, Copacabana, et surtout la jungle au dessus de la ville. C'est la première fois que je mets les pieds dans la jungle. Inouï. Des petits singes très mignons sautent de branches en branches, se disputant des bananes et un tamanoir apparaît soudain, portant sur son dos un petit lémurien qui fait des cabrioles...

On joue dans un studio de répétition et d'enregistrement, situé à l'arrière d'un magasin de musique. Très confortable. Il y a une cinquantaine de personnes dans ce lieu minuscule appelé l'Audio Rebel. Cocaïne à dix euros. Vodka à un euro.

Último Metrô - Gatopardo
Bus climatisé dès le petit matin pour rejoindre Sao Paulo. On file en taxi jusqu'au point de ralliement et on tombe sur une bande de jeunes freaks complètement déchaînés, les Gatopardo et Electric Roar. Ils ressemblent tous à Lou Reed période early Velvet, un peu gothiques aussi. Ils ont loué un gros van qui va se transformer en bus de colonie de vacances pendant les deux heures de trajet jusqu'au bled où on joue, Mogi-Guaçu. On s'y entasse à trois groupes. Par la fenêtre, les gratte-ciel laissent peu à peu la place à des zones de bidonvilles, puis à la campagne, zébrée de grands canaux. Ma bouteille de vodka qui tourne, les hurlements et les chants des autres groupes... tout devient un peu flou. On s'arrête sur un rond point dans ce qui semble être une zone commerciale et là on me montre un petit bar qui fait aussi alimentation, sur une butte. C'est là qu'on joue.
Je rode un peu dans ce quartier bizarre, plein d’entrepôts à moitié abandonnés, des baraques en planches, de partout des arbres luxuriants, des fougères, des lianes qui pendent le long des murs. Je demande aux Gatopardo où choper. Ils m’entraînent voir un gamin de treize ans qui me vend de minuscules pochons à quatre euros. Qualité merdique.
Ensuite concert. Première gifle culturelle. Le public est constitué pour moitié de jeunes indiens en tenue ultra-punk. Patches faits maison (Discharge, Misfits), survètements à clous taggés à la bombe fluo... Et ça dance ! Pogo in Mogi Guaçu ! On discute ensuite longuement avec tous ces minots, on donne plus de disques que ce qu'on en vend. L'enthousiasme de ces jeunes punks nous a gonflé à bloc. Ensuite on se rapatrie vers Sao-Paulo, dans un appartement en duplex, un gratte-ciel avec piscine. Fin de soirée snif snif, les Gatopardo sont cools. Des petits dandy crados.

We are selling drugs - La Flingue
Le lendemain, on joue à Sao-Paulo même. Pourri. Une grande salle, style centre culturel, grosse sono, trente personnes (c'est dimanche). On fait un concert catastrophique, je pense que les autres jouent trop vite et mal. Tout le monde sera d'accord pour me contredire et pour m'ordonner de boire moins de vodka avant de jouer. Message reçu.

La soirée ensuite est plus intéressante. On descend avec les petits lords dans les bas-fonds de la ville, vers quatre heures du matin, pour faire des emplettes chimiques. Je ne me souviens même plus comment on a atterri dans ce coin, mais j'essaye de me ressaisir un peu. Tu vois les têtes qui sortent des encadrements de porte, tu te tiens à carreaux. Je colle mes potes brésiliens de près. Lorsque je m'éloigne de plus de quelques mètres, des homoncules avec des têtes moyenâgeuses sortent de l'ombre, les doigts crochus, prêts à me sauter dessus pour revendre mes organes ou abuser de mes petites fesses occidentales.
On contourne des tas d'ordures en se frayant un passage entre les travestis et les prostituées, bonjour Madame ? Une racaille avec une figure à jouer dans un western spaghetti m'offre un sachet, je sens l'embrouille. Pas du tout, il est pote avec les Gatopardo et m'offre du produit en l'honneur du punk rock.

Samba da Minha Terra - Novos Baianos
Sorocoba. On joue dans un centre social, dans une sorte de paillote sans murs adossée à la jungle. C'est super. L'organisateur nous a incrustés dans une soirée avec danses d'enfants, expo de peintres manchots et répétitions de groupes de musique brésilienne. C'est très familial, il y a une trentaine de rockers. J'adore. Je goûte des alcools dont j'oublie aussitôt le nom. Notre concert est très tight, félin et brutal à la fois, on devient très bons.

Après je ne sais plus, il me semble que Gigi et Mathieu vont aux putes avec la caisse du groupe, douze euros. Rudy met son masque de sommeil noir en satin.

Quiero Escuchar mi Vinilo de Los Germs – Los Ornitorrincos
Porto Alegre ressemble à Manchester, mais avec un petit côté tropical en plus. On devait faire une télé dans l’après-midi, mais ce putain d'avion a pris trois heures de retard, donc on a dû annuler. Pas grave, ce soir concert dans un magasin de tatouage !
Les Ornitorrincos nous accueillent, nous montrent le lieu ; c'est à l'étage, derrière le comptoir du tatoueur il y a un studio de répétition, c'est là. On joue bien, je me sens bien, j'ai mis mes bretelles. Les Ornitorincos sont straigh-edge, mais ils ont tout de même la politesse de m'attendre après le concert, poireautant dans la rue qu'un dealer extrêmement sympa revienne avec son sbire, un nain hydrocéphale (je n'invente rien !).

Je passe ensuite une des meilleures soirées de ma vie à sniffer tout seul dans une cage d'escalier pendant que tout le monde dort. Saperlipopette, elle est bonne ! Je me roule des pailles avec des feuilles de palmiers. Demain on roule dix heures en bus vers l'Uruguay.

La Conferencia Secreta del Toto's Bar – Los Shakers
Un petit aparté sur les bus. Si vous imaginiez des cages à poules roulantes avec des enfants qui hurlent et des conducteurs ivres qui klaxonnent pour faire dégager les animaux sur la route, oubliez. Grand confort. Climatisation, sièges-couchettes inclinables, télévision et machine à café. Rudy s'en fout. Il s'enferme dans un sarcophage de boules Quiès et de masque de sommeil à la moindre occasion.
On fait une étape de quelques heures dans la sordide ville-frontière de Chuy. Routes en terre battue, charrettes et ambiance bout du monde. Heureusement je me suis muni d'une bouteille en plastique de cachaça. Délicieux ! Et à deux euros le demi-litre...


On arrive dans la gigantesque gare routière des Tres Cruces. Ça fait du bien d'entendre parler espagnol, on pigeait rien au portugais.

Comme je vous racontais au début, on joue dans une usine désaffectée, dans la campagne. Des gens vivent là-dedans, ils ont construit des rampes de skate-board, une cuisine, pas de toilettes. Mais ce qui me surprend vraiment c'est de voir que les chambres ont été aménagées dans les immenses réservoirs de produits chimiques. Hmm ça doit pas être aux normes tous ça. Le concert est agréable, malgré le matériel boiteux. Il y a bien cent-cinquante personnes qui nous regardent du haut des gradins et dans la fosse en terre battue, ça pogote.
Je me dispute ensuite avec Gigi et Rudy parce qu’ils ne veulent pas taper la drogue à l'arrière du combi Volkswagen, il va falloir attendre d'arriver dans la bicoque toute tordue où on va passer la nuit. C'est toujours dans la verdure, au milieu des insectes vrombissants et des herbes hautes. La végétation semble fluorescente dans la nuit. Il y a des lucioles de partout.

Le lendemain on prend le bateau pour Buenos Aires. J'oublie mes bretelles et mon pantalon chez les muchachos qui sont encore en train de refaire le monde au petit matin. Qu'ont-ils bien pu faire d'un pantalon de smoking ?

What difference does it makes ? – The Smiths
Ferry sur le Rio del Plata : un bras de mer marronnasse entre l'Uruguay et l'Argentine. J'ai l’impression d'être Tintin avec son oreille cassée. Mais qui est Milou alors ? Et le fétiche Arumbaya, c'est quoi ?
On traîne un peu à Buenos Aires, le temps de manger une pizza et de changer des euros au marché noir. Ensuite c'est parti ! On fait un show a Burzako, banlieue lointaine, dans un bar de bikers, sept groupes de hardcore sont programmés avant nous. On doit donner notre représentation à quatre heures du matin. Hmm désolé je ne me souviens plus de grand chose. Je me remémore très bien le patron du bar, un gros nounours très tactile, qui a décalotté son paquet de cocaïne d'un seul coup sur un capot de voiture, une Renault douze, en criant que c'est de la merde ! Il a tout snurglé en un seul frémissement de narine, un seul, gargantuesque. Snrrrrrlmffflch ! Et après il m'a serré dans ses bras en frottant sa barbe pleine de morvelle sur ma chemise en dentelle noire.

On finit Gigi et moi, chez un moustachu argentin, en chantant les Smiths, comme d'autres braillent des chants de supporters nazis. Gigi en petit short moulant blanc, poilu sur un canapé en skaï rouge. Je me demande si je n'ai pas trouvé mon Milou. Ou l'inverse...

Historia triste – Eskorbuto
Concert adorable à Campana (juste après la petit ville d'Escobar !) dans un centre social. Les kids me portent à bout de bras. Tapent des mains, des pieds, hurlent des trucs sur l'homophobie, le machisme, le fascisme. Cool. En allant me promener seul dans le quartier je traverse un parc où se sont regroupés des évangélistes qui chantent. Il y a des églises immenses de partout en fait. Putain, ils n'ont pas compris ? La rédemption est un truc personnel, rien à voir avec gogol dans les cieux !

Suivra une nuit difficile chez un semi-débile qui nous fait dormir dans l'arrière-court de chez sa grand-mère, au milieu des crottes de son chat. Il se casse, parce qu’il a envie de niquer (sic), et nous laisse enfin seuls, avec notre poudre. Dans la patio puant, j’enjambe Mathieu qui dort au clair de lune, et les yeux écarquillés, je me laisse pénétrer de chaque seconde. Vous voulez un secret mes amis ? Arrêtez de hurler après l'apocalypse. L’apocalypse a lieu tous les jours.
Bon en me relisant je me rends bien compte que je dévie méchamment mystique. On va arrêter-là ces conneries. Je m'excuse, mais on peut essayer de s'élever, des fois ?

Anticristo - Operativo Exposición Total
Le lendemain, long trajet. Rudy mets sa combinaison à zip en vinyle noir brillant pour dormir. On arrive à Rosario, ville sympa pour une soirée à graver au fer rouge sur le torse de Hank Von Helvete, ce traître. Gros festival punk dans une grande salle toute boisée. Je rencontre un sataniste avec de grands yeux tout doux. Toutes les questions que je lui pose me reviennent en pleine face, formulées comme des réponses douces et sensées. C'est à ce moment-là que je décide de devenir sataniste pratiquant. Tout devient clair pour moi : l'hédonisme et l'égotisme du satanisme, si on le combine à une certaine conscience sociale de gauche... hé bien, c'est ça l'avenir de l'humanité ! Je parle longuement avec les mecs du groupe de mon projet : créer la Ligue Sataniste Révolutionnaire. Le but : combattre le système capitaliste en se basant sur les préceptes du marxisme, mais un marxisme en cuir rouge, qui aime le peuple pour son sexe et sa bouche de pute.
Alleeeeeez, hop ! Encore une petite trace ! Alleeeeeez, hop ! Encore un cachet blanc en forme de nœud-papillon! Maître des ténèbres, enculez moi !

Soudain, dans l'aube blafarde, je me réveille. Totalement à la rue. Je questionne Rudy, Gigi et Mathieu à propos de ma conversion luciférienne, ils ne voient pas à quoi je fais allusion. Quels cons. Ils ont raté la révolution sataniste avec une conscience de gauche.

La noche de las narices blancas – Flema
Le lendemain est un day off, on passe la nuit à rouler vers la cordillère des Andes et la petite ville de Mendoza, dont j'ai parlé plus haut. Bière dans le parc San Martín, et puis concert.

Après Mendoza il nous faut traverser les montagnes pour atteindre le Chili, c'est grandiose. On passe sous l'ombre immense de l'Anconcagua. La montagne scintille dans le ciel d'un bleu profond. Sur la route au milieu de cette beauté, des surprises tout de même : un village misérable, avec des baraques en terres battues. Comment les gens font-il pour vivre là en plein hiver ?
On arrive à Santiago exténués. Roy nous accueille à la gare routière. C'est lui qui nous a monté ces quatre dates au Chili. Il nous dira plus tard qu'il pensait avoir fait une énorme erreur en nous voyant descendre du car. On a des gueules de déterrés, pas envie de parler, Gigi ressemble à un tueur en série bloqué sous acide dans une réunion tupperware.
Marre de ça. Vivre la journée comme une grande gueule de bois handicapante. Avec juste une nappe de demi-souvenirs de la nuit d'avant. Comme un bruit de papier qui se déchire.
Bien vite ça va mieux.


Bières fraîches, vodka, on décolle pour le Santa Filomena bar dans le quartier chaud. Concert nickel, bons groupes, c'est du classique.
C'est difficile de juger sur quatre dates, mais il y a une réelle différence avec le brésil ou l'Argentine, ici il y a des clubs, des balances, des loges.
Tout le monde te propose aussi de la cocaïne, à vendre pas cher, ou t'en offre.
Le lendemain on joue à la campagne, un bled qui s'appelle Rancagua/Granero, dans une boite, le White Disco Club. Superbe accueil encore. Sourires et joie de vivre, tapes dans le dos, abrazo ! Ils commencent à me gonfler les gringos ! Il est où le danger qu'on m'avait promis ? Les enfants orphelins faméliques qui sniffent de la tryclo dans les ruines ? La police militaire corrompue à lunettes miroir? Les viols de touristes américains, sacrifiés comme des poulets trop gras par les gangs de trafiquants?
Le seul préjugé qui s'est vérifié c'est la cocaïne, et je n'aime pas ça tant que ça.
Tous ces fantasmes occidentaux risibles, j'y ai cru moi aussi, un peu.

Tout ce qu'on a trouvé c'est des gars qui eux aussi essayent de s'en sortir avec élégance, en vivant un peu dans un monde décalé, un vortex qu'ils ont eux même créé. Où les disques de punk rock, les fanzines, les concerts, faire un groupe, s'amuser sont plus importants que... que... bah rien ! Va tweeter ton facebook...

Asesina a tus asesinos – Altercado
Le lendemain c'est Chillán, une ville pas terrible, on est accueilli par José, un vieux punk très touchant. On dort chez lui et son frère dans un quartier très pauvre, limite bidonville. Terre battue, murs lépreux, bandes de chiens errants. Je vais acheter des bières et du vin alors que la nuit tombe, une mémé me vend tout ça, tout est très familial. Les vieux discutent sur le pas de porte. Ensuite café-concert très normal au centre-ville, on joue avec un groupe horrible mais gentil, ils s'appellent la Haine de Dieu.

 

Le dernier concert est à Valparaiso. C'est une ville portuaire psychédélique, des couleurs de partout, des ruelles entrelacées qui s'élancent à l'assaut des collines cernant la cité. Superbe. Bouffez du ceviche tant que vous pouvez ! C'est du poisson cru mariné avec du coriandre dans du jus de citron vert. Vous faites passer ça avec un grand verre de jus de moule. Très bon concert. On joue en dernier, vers trois heures du matin, ensuite c'est la course : embrassades, bus jusqu'à Santiago, quelques heures de sommeil et l'avion. En atterrissant vingt heures plus tard à Marignane je me dis que, certes, ce monde est un tas de ruines ignoble, mais on a fait le bon choix. Les être humains qui valent le coup organisent des concerts punks.

Abrazo à Roy, Mauricio, Joaquin, Herman, Saulo, Manfrini, Zorel, José, Guilherme, Alan, Josimas !

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